International audience; IntroductionAcheter son pain à la boulangerie, accueillir des amis chez soi, inviter quelqu’un pour une soirée ou poser une question à un collègue : autant d’actes simples et quotidiens qui témoignent néanmoins de l’insuffisance d’une approche méthodologique qui ne tiendrait pas compte du besoin, pour l’apprenant, de développer, au fil de son apprentissage, une conscience pragmatique (Meier 2003 ; Pizziconi & Locher 2015), lui permettant d’acquérir une vraie compétence interactionnelle (André 2021).En effet, les composantes pragmalinguistiques et sociopragmatiques de ce que le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (CECRL, Conseil de l’Europe 2001) regroupe sous l’alinéa des sous-compétences sociolinguistiques font rarement l’objet d’un enseignement explicite. D’ailleurs, l’enseignement de l’oral prenant le plus souvent appui sur la langue écrite (Germain & Netten 2010), les valeurs pragmatiques que les expressions acquièrent en situation d’interaction demeurent, en général, largement confiées à l’intuition de l’apprenant. Plus les langues -maternelle et étrangère- sont proches (comme l’espagnol et le français, par exemple), plus l’apprenant est pris dans une sorte d’« illusion de transparence » (Kulikowski 2012) qui le pousse à un transfert de structures calquées de sa langue maternelle, au risque de tomber dans des erreurs pragmatiques (Thomas 1983 ; Kasper & Rose 2002). Or, en fonction du niveau de l’apprenant, celles-ci sont moins perçues comme un manque de compétence linguistique que comme un manque de politesse ou d'intérêt (Escandell 1996 ; Piatti 2003). L’utilisation d’outils et de ressources didactiques élaborées sur des corpus d’interactions s’avère, dans ce sens, un auxiliaire incontournable.Ressources et méthodologieRessourcesLa présentation de données réellement attestées dans des situations sociales ordinaires permet d'illustrer en contexte la manière dont les activités se déroulent au quotidien (Traverso 2016) et comment elles s'enchaînent au cours de l'interaction en simulant, dès lors que l'exposition est renouvelée régulièrement, une forme d'immersion dans ces données (Alberdi et al. 2018). C’est dans ce but que l’équipe Interactions, Cognitions du laboratoire ICAR a conçu et développé la plateforme CLAPI-FLE (http://clapi.icar.cnrs.fr/FLE/), en collaboration avec un réseau de didacticiens et d'enseignants. Si cette plateforme propose une quarantaine d'extraits didactisés pour l'enseignement du français langue étrangère, elle met également à disposition des fiches explicatives pour détailler certaines particularités de l'oral (temps verbaux, atténuation, discours indirect, questions, expressions "quand même" ou "trop") et, en parallèle, des fiches "En pratique" directement utilisables en salle de classe qui portent sur l'accueil, la cuisine, l'invitation (Alberdi et Etienne 2021) ou encore sur les différentes formes que peut prendre une question suivant les contextes et les besoins.Orientée vers les enseignants (Ravazzolo et Etienne 2019), cette plateforme s'avère souvent complexe pour les apprenants qui ont des difficultés à appréhender ses contenus, en particulier le métalangage qui les décrit. Ainsi, une seconde plateforme dédiée aux apprenants CORAIL (http://clapi.icar.cnrs.fr/Corail) a été définie, dans ce même réseau, d'après les résultats d'une enquête qualitative menée auprès d'apprenants de différentes nationalités et de différents niveaux de langue. Elle est basée sur la compréhension, après plusieurs écoutes, d'extraits authentiques revue et discutée lors d'entretiens individuels afin de cibler les principales difficultés de compréhension des apprenants (Cortier et al. 2022). À partir des problèmes recensées, l'application s'organise en trois volets : les situations, les fonctions et les expressions, que l'apprenant aborde dans l'ordre qui lui convient suivant ses besoins.CORAIL propose une quinzaine d'extraits courts et commentés, accompagnés d'exercices qui pointent quelques spécificités de l'oral, souvent source de confusion. En parallèle, la rubrique "Comment dire ? Comment faire ?" décrit dans un langage simple, et illustre dans différents contextes, les procédés mobilisés par les locuteurs pour réaliser des fonctions courantes telles que remercier, raconter, poser une question, exprimer une opinion, proposer, inviter, mais également des actes plus délicats comme refuser ou plaisanter. Même si CORAIL s'adresse à des apprenants qui peuvent être débutants, il ne s'agit pas de montrer une façon de faire, bien rodée et maitrisée, mais au contraire de donner accès à une variété de procédés afin de préparer les apprenants à les reconnaitre, à les assimiler pour développer de réelles compétences d'écoute et de repérage, dans le but d'améliorer ainsi leur compréhension de la langue orale. Dans la même approche, certaines expressions fréquentes à l'oral et identifiées par les apprenants comme problématiques sont présentées, en abordant en termes simples leur polysémie dans des exemples contextualisés. En évitant l'écueil d'une traduction intrinsèque qui ne rendrait pas compte de la diversité de leurs emplois, on préfère décrire leurs fonctions, leurs variantes, leur caractère positif ou négatif, la prosodie ou les gestes qui les accompagnent. Le maillage entre lexique, fonction, cotexte, prosodie et contexte sensibilise les apprenants à élargir leur approche de la langue pour intégrer plusieurs de ses composantes, au lieu de se limiter à une connaissance parcellaire de quelques-uns de ces termes, réutilisables à l'identique et sans discernement.MéthodologieNous illustrerons l’emploi et l’adaptabilité de ces ressources à travers une étude de cas menée au sein d’un groupe d’apprenants de français 2e langue étrangère de la Faculté de Traduction de l’Université de Grenade (3e année de licence, dernier semestre de langue française).Bien qu’ayant suivi 360h de cours de français à l’université -sans compter les parcours individuels au long de l’enseignement secondaire-, et malgré leur niveau de compétence général (B2+), les apprenants témoignent de difficultés d’expression -parfois aussi de compréhension- lorsqu’ils sont confrontés à des interactions simples comme celles envisagées ci-dessus. L’observation quotidienne permet de constater la persistance d’erreurs pragmatiques découlant du calque de structures de la langue maternelle -impératif pour une requête, emploi systématique de « salut », par exemple-, la tendance à assimiler traits syntaxiques d'oralité et registre familier -notamment en ce qui concerne l’interrogation ou la dislocation- et des problèmes d’identification de la valeur pragmatique de divers marqueurs de structuration typiques de l’oral -voilà, du coup, quand même…Afin d’y remédier et de proposer aussi à l’apprenant des outils qu’il pourra continuer à utiliser de façon autonome, des ressources complémentaires ont été élaborées à partir de celles proposées dans CLAPI-FLE et CORAIL et utilisées en accompagnement des matériaux déjà prévus dans le cursus. Les séquences sont explicitement orientées vers un triple objectif : 1) l’acquisition d’une conscience pragmatique et interculturelle, à travers l’observation et la réflexion ; 2) le développement de la compétence interactionnelle en compréhension comme en expression ;3) l’encouragement d’une conscience métacognitive à travers l’exploration de ressources d’auto-apprentissage et l’élaboration d’outils de synthèse personnalisés (cartes conceptuelles et journal de bord).Résultats Les résultats de l’expérience menée ont pu être interprétés à travers la comparaison entre les réponses fournies à une enquête préalable en début de semestre et celles données à un formulaire élargi portant sur les mêmes contenus après 14 séances de cours sur corpus. Si la première enquête demandait juste une mobilisation de connaissances acquises dans la réalisation d’actions simples ou à l’égard de marqueurs habituels de l’oral tels que « du coup » ou « voilà », la seconde devait s’accompagner d’une explication détaillée et argumentée des conclusions de l'étudiant une fois les activités effectuées, et individuellement enregistrées dans le journal de bord.Le caractère multidimensionnel de la langue orale rend compte de la richesse de ses pratiques mais également de sa variété, dont un apprenant ne peut se dispenser s'il veut pouvoir la comprendre en contexte. Pour ce faire, il lui faudra développer des stratégies d'écoute et de repérage des indices verbaux et multimodaux. Si les chercheurs en interaction disposent de corpus écologiques et des résultats de leurs travaux, ils ne constituent pas pour autant des ressources directement utilisables pour l'enseignement-apprentissage d'une langue. Un travail de transposition s'impose pour tirer le meilleur parti des connaissances des uns et des besoins des autres, afin de concevoir ensemble des ressources pertinentes qui évolueront au fil des connaissances comme des enseignements.Dans un travail continu d'ajustement des ressources aux besoins, les enseignants et les didacticiens partagent avec nous leurs expériences auprès de publics variés et pour différents objectifs d'enseignement, afin de modifier ou de compléter les ressources en ligne selon leur réception par les apprenants et leur adéquation aux formations dispensées. C'est par ces approches successives que les plateformes se consolident et tentent d'apporter à la didactique des langues les résultats des nouveaux travaux de recherche en interaction, de nouvelles données, ainsi que de nouveaux formats adaptés à la salle de classe et à ses contraintes.La création de telles ressources ne fonctionne qu'avec l'engagement des didacticiens et des enseignants, impliqués depuis le choix des extraits des corpus de recherche à didactiser, ou des fonctions langagières à expliciter, jusqu'à l'interprétation des résultats obtenus auprès des apprenants. Les améliorations à apporter, comme les nouvelles ressources à créer, découlent directement des échanges entre les chercheurs et les praticiens.Références bibliographiques Alberdi, C., Etienne, C. (2021). Apprendre à interagir en classe de FLE : la situation d'invitation. Bulletin Suisse de Linguistique Appliquée, n. spécial, 2, 107-128.Alberdi, C., Etienne, C., Jouin-chardon, E. (2020). Comprendre les spécificités du français oral par l’immersion virtuelle : un défi possible pour les apprenants. Études linguistiques - didactique des langues, 19-38.André, V. (2021). Des corpus d’interactions dans la formation linguistique des migrants. Savoirs, 56, 77-96.Conseil de l’Europe (2001). Cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer, Paris, Didier.Cortier, C., Etienne C., Ould Benali, N. (2022). De la didactique de l’oral à l’interaction: rétrospective, méthodes et mise en œuvre dans le contexte algérien. Mélanges CRAPEL, n.1, 43, 101-129.Escandell, M.ª V. (1996). Los fenómenos de interferencia pragmática. Didáctica del español como lengua extranjera, 95-110. Madrid : UNED.Germain, C. & Netten, J. (2010). La didactique des langues : les relations entre les plans psychologique, linguistique et pédagogique. F. Neveu, V. Muni Toke, J. Durand, T. Klingler, L. Mondada & S. Prévost (éds.), Congrès Mondial de Linguistique Française - CMLF 2010, 519-537. Institut de Linguistique Française.Kasper, G. & Rose, K. (2002). Pragmatic development in a second language. Oxford : Blackwell.Kulikowski, M.Z. (2012). Los estudios sobre cortesía verbal en español en el departamento de letras modernas de la Universidad de São Paulo-Brasil. J. Escamilla & G. H. Vega (éds.) : Miradas multidisciplinares a los fenómenos de cortesía y descortesía en el mundo hispano, 325-343. Barranquilla-Stockholm: Universidad del Atlántico-Université de Stockholm.Meier, A.J. (2003). Posting the banns: a marriage of pragmatics and culture in foreign and second language pedagogy and beyond. A. Martínez, E. Usó & A. Fernández (éds.): Pragmatic competence and foreign language teaching ,185-210. Castellón : Université Jaime I.Piatti, G. (2003). La cortesía : un contenido funcional para los programas de español como lengua extranjera. D. 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