Rossi, M., Diallo, D., Tolo, A., Diop, S., Diagne, I., Belinga, S., Kitenge, R., Kouakou, B., Kamara, I., Traore, Y., Deme Ly, I., Diaw, M., Tshilolo, L., and Ranque, B.
La drépanocytose est l'une des maladies génétiques les plus fréquentes au monde. Elle entraîne la production d'une hémoglobine (Hb) anormale, l'HbS, à l'origine d'une hémolyse périphérique chronique [1]. L'anémie a été identifiée comme un facteur de morbi-mortalité de la drépanocytose dans plusieurs études, à la fois dans des pays du Nord [2] et du Sud [3] , mais peu d'études ont analysé les déterminants du taux d'Hb dans le contexte africain. L'objectif de notre étude était d'analyser les facteurs associés au taux d'Hb chez les patients drépanocytaires africains notamment les facteurs spécifiques de la maladie comme l'hémolyse mais aussi des facteurs non spécifiques comme l'inflammation ou les facteurs socioéconomiques. Nous avons réalisé une étude transversale nichée dans une cohorte prospective multinationale. Nous avons réalisé nos analyses dans 3 groupes de patients selon le phénotype drépanocytaire : SS/Sβ0, SC et Sβ+. Nous avons étudié l'association entre le taux d'Hb avec les facteurs démographiques (pays, sexe, âge), l'indice de masse corporelle (IMC), l'hémolyse (ictère clinique, bilirubine, LDH, réticulocytes) et l'inflammation (leucocytes, plaquettes) à l'aide de modèles de régression linéaire. Nous avons réalisé des analyses en sous-groupe : (1) au sein de la population avec des marqueurs biologiques d'hémolyse disponibles (LDH et/ou bilirubine) ; (2) chez les enfants et les adultes en ajustant sur le niveau d'éducation des patients chez les adultes et sur le niveau d'étude paternel chez les enfants. Les variables avec ≤ 20 % de données manquantes ont été imputées par la méthode des imputations multiples. Au total, 4206 patients ont été inclus avec différents phénotypes drépanocytaires : SS/Sβ0 (n = 3425, 81 %), SC (n = 600, 14 %) et Sβ+ (n = 181, 5 %) avec un taux d'Hb médian de 7,9, 11,3 et 11,2 g/dL respectivement. Parmi les patients, 56,3 % étaient originaires d'Afrique de l'Ouest (Mali, Sénégal et Côte d'Ivoire) tandis que 43,7 % étaient originaires d'Afrique Centrale (Cameroun, Gabon et République Démocratique du Congo). En analyse multivariée, chez les patients SS/Sβ0, être originaire d'un pays d'Afrique Centrale (β = −0,5, p < 0,001), un IMC plus faible (β = 0,15, p < 0,001), la présence d'un ictère clinique (β = −0,24, p < 0,001) et un taux plus élevé de leucocytes (β = −0,21, p < 0,001) étaient associés de façon négative et indépendante au taux d'Hb tandis que chez les patients SC et Sβ+, les facteurs associés de façon significative au taux d'Hb étaient le sexe féminin (p < 0,001), un IMC plus faible (p = 0,007 et p = 0,02), la présence d'un ictère clinique (p = 0,02 et p = 0,016) et un taux plus élevé de plaquettes (p < 0,001). Dans le sous-groupe de patients avec une évaluation biologique de l'hémolyse, les LDH et le taux de réticulocytes étaient associés de façon négative et indépendante au taux d'Hb dans tous les phénotypes mais de façon plus importante chez les patients SS/Sβ0 (β = −0,17 et −0,1 respectivement versus −0,09 et −0,07 chez les patients SC et, −0,09 et −0,04 chez les patients Sβ+). Dans le population adulte, un plus haut niveau d'éducation était associé de façon positive au taux d'Hb chez les patients SC seulement. Dans la population pédiatrique, le niveau d'éducation paternel n'était pas associé de façon significative au taux d'Hb quel que soit le phénotype. Nous avons identifié des interactions significatives entre : (1) le sexe et la classe d'âge avec un écart du taux d'Hb entre les hommes et les femmes plus important chez les adultes, et chez les patients SC et Sβ+ par rapport aux patients SS/Sβ0 ; (2) entre le pays d'origine et la présence d'un ictère clinique chez les patients SS/Sβ0 avec un impact négatif de l'ictère sur le taux d'Hb plus important chez les patients originaires d'Afrique Centrale par rapport aux patients originaires d'Afrique de l'Ouest. Nous avons pu montrer dans une large cohorte de patients drépanocytaires africains une association du taux d'Hb avec des facteurs liés à la drépanocytose comme l'hémolyse, mais aussi avec d'autres facteurs plus complexes et moins spécifiques de la maladie comme le pays d'origine et l'inflammation, et ce de façon indépendante de l'hémolyse. Nos résultats suggèrent aussi la présence de facteurs de confusion non mesurés associés à la région d'origine comme la malnutrition, la pression infectieuse et les facteurs génétiques autres que le phénotype comme les haplotypes de la β-globine. [ABSTRACT FROM AUTHOR]